Mittwoch, 15. Mai 2002

La mer calme - Poème



            Au fond de la mer le sommeil profond s’est étendu. Les poissons peuvent bien s’agiter il n’y aura plus de vent pour leur parler de la terre. Ni de voiles élancées prêtes à conquérir l’horizon circulaire. C’est le silence. Et le bateau semble un nouveau pays immobile, minéral.

            Nous autres de l’équipage nous nous regardons avec ennui. Quand l’un soupire l’autre répond par un sourire ; il hausse les épaules. Puis tout retombe dans l’inaction. La barre, plus personne ne la tient – et si la nuit nous contemplons les étoiles, c’est pour mieux constater que nous n’avons pas avancé.

            A l’avant du navire je me tiens comme une figure de proue, comme cet œil, gravé par les ancêtres pour leur porter chance. Mais mon regard n’a pas suffi à rappeler les vagues. Les mille ronds que dessine le soleil, à la surface, m’éblouissent. Je ferme les yeux ; je me souviens.

            Si je suis parti, c’est pour une raison qui demeure mon secret. Doux compagnons de voyage vous ne saurez rien de moi – ou, alors, autant dire que je n’atteindrai pas ma destination – celle-là aussi est mon secret. Tout ce que vous retiendrez de moi, c’est ma présence, mystérieuse et solitaire, à vos côtés, un jour.

            Je me souviens du matin des adieux, quand le soleil étincelait parmi les vaguelettes. Tout, même le vent, me chassait hors de ce rivage ; j’espérais partir le plus loin possible. Et pour une fois je n’étais pas seul – l’espérance, le passé, marchaient près de moi, versaient des larmes sur mon épaule. Elles ont agité leurs mouchoirs, et je me suis enfui.

            Puis ce furent les premiers jours de la traversée. Les oiseaux marins criaient joyeusement près de l’étrave. Nous faisions semblant d’écouter les histoires des autres ; nous dissimulions la nôtre. Quand la nuit tombait ceux qui étaient de quart récitaient des poèmes, et enchantaient les étoiles vagabondes.

            J’ai vu disparaître la côte avec lenteur, anxieux. Pourtant, le vent me soufflait que j’allais revenir, quand le monde aura changé de face – et qu’en mon cœur, j’aurai perdu mes rides superflues. Je me reprenais donc, séchant mon angoisse à la lumière. Un fleuve scintillant descendait de l’horizon jusqu’à nous.

            Il y a quelques jours des cartes annonçaient un écueil. Tout l’équipage s’était posté sur les bords, et observait si le fond de la mer ne changeait pas soudain de couleur. Mais l’écueil demeurait caché pour nous et nous avons continué notre paresseuse route. Il me semble que ces événements remontent au siècle dernier ; une étrange mer a tout recouvert depuis.

            Alors, le vent a cessé de gonfler nos voiles, le soleil a tourné dans une atmosphère sans embruns. Et les vagues que notre coque perçait se sont noyées dans les abysses. A la proue ne surgissent ni terre, ni vent. A la poupe nulle brise prometteuse. La bôme claque dans le vide. Les plus pressés d’entre nous, perdent patience.

            Au moins par ce temps ne courrons-nous aucun risque. La mer a réservé à d’autres voyageurs de pires surprises. Notre bateau nous porte comme une île enchanteresse, confiante. Et puisque je n’ai pas de destination, peu m’importe d’y rester un millénaire. On trouvera nos squelettes, figés dans cette dépression par un sel mystérieux.

            S’il faut mourir, espérons que ce ne soit pas de soif. Au pire, je pourrais boire les larmes versées avant mon départ – elles n’auront pas coulé en vain. Et puis, oui, qu’il boive mon sang, ce petit équipage, qu’il garde mon souvenir un jour de plus. Qu’on me jette à l’eau ensuite.

            Hier nous avons croisé un bateau à moteur. Ou plus exactement il nous a doublés, et la vague qui nous a fait tanguer fut la seule émotion de ce maudit navire. En chacun de nous gémissait l’espoir qu’il nous remorquerait jusqu’à un lieu plus clément que ce désert sinistre, une mer infinie sous un ciel endormi.

            Mon oisiveté me ronge de l’intérieur. Même mes os se sont ramollis à rester dans cette cage, au milieu de l’océan des libertés. Et ce marasme ne finira pas de sitôt peut-être. Cette mer calme, je sentais la malédiction qu’elle abattrait sur moi, bien avant de m’y lancer. Maintenant, j’y vis.

            Pour nous distraire nous avons tenté de pêcher. Avec un bout de pain rassis et quelques hameçons les poissons se sont acharnés sur nos lignes. Les sardines pourrissent sur le pont et des thons ont entraîné nos appâts. Désormais nous savons que nous ne pourrons plus mourir de faim.

            Et puis, un nuage a timidement dépassé l’horizon ; il s’avançait vers nous. C’était comme si nous sentions déjà le vent dans nos cheveux. Nous avons bordé les voiles impatients de repartir ; elles se gonflèrent une seconde – peut-être de notre soupir soulagé. Ce nuage en annonçait des milliers d’autres, avides de déchaîner sur nous toutes les tempêtes.

            Il est monté jusqu’à bâbord, s’est divisé en quatre, puis a disparu dans l’air limpide. Il s'est dissipé ; nos illusions l’ont fait reparaître à tribord, mais il était parti. Et plus personne ne voulait chanter à bord – un si joyeux équipage c’était, pourtant.

            La nuit pour plaisanter nous avons voulu savoir qui nous portait une malchance pareille. A la courte paille j’ai été choisi, mais personne n’a daigné me pousser dans l’eau immobile. Alors, chacun de nous a voulu raconter sa propre histoire – cette fois-ci nous l’écoutions.

            « Je veux rejoindre l’Amérique. Là-bas je sais que je ferai fortune. J’étais trop pauvre dans la vieille Europe, je tournais en rond dans de petites villes. A moi les grands espaces de la vie ! »

            « Je suis considéré comme un faible musicien, et dans l’ancien monde chacun le pense. Ma gloire n’avancera pas plus que ce bateau – vous voyez. En Argentine une nouvelle patrie m’attend, qui saura reconnaître mon mérite. Cela, je le sais ! »

            « Il n’est pas question de m’arrêter à ces petites contrées. Je voulais voguer vers la Chine, mère des civilisations, et par elle je connaîtrais le monde entier, puisque tout y naît et revient à elle. Je vous jure que je ne plaisante pas ! »

            « Et moi, je suis le capitaine de ce navire. Si vous ne m’aviez pas payé, je serais resté sur les chaleureux rivages de la France, et on ne m’aurait pas vu dans cette dépression interminable. Mais bientôt nous en trouverons la fin, de cet océan ! »

            Alors ce fut à mon tour de parler. Les regards s’étaient tournés vers ma place. « Je ne sais pas où je vais. Si je suis parti, c’est sans raison. Peut-être qu’à la première étape, aux Açores je voudrai me poser ? Ou bien, quand nous aurons fait le tour de cette terre, voudrai-je revenir hanter les plages de mon pays ? »

            Mon odyssée continue. Ils ne sont pas près d’atteindre l’Amérique, la Chine, ou même les anciens parapets de l’Europe, mes compagnons de voyage. C’est comme si nous avions jeté l’ancre au milieu de la mer, au cœur immobile de la vie. Nous sommes peut-être au centre de l’univers – je m’en échapperais volontiers.

            M’enfuir. M’enfuir était lancer un pont en direction du vide, au delà du vide. Même la mer me chante que je ne dois pas réussir, et que je vais demeurer, ici ou là, toujours. Les poissons peuvent bien s’agiter il n’y aura plus de vent pour leur parler de moi. Ni de voiles prêtes à conquérir une nouvelle route. C’est le silence.

*

            Un navire ancien hante les océans de la planète. Qui ne connaît son maître, homme qui joua une âme autrefois contre le diable ? Le Hollandais volant a peut-être seul une chance de me rencontrer… Car moi, je ne sais pas ce que j’ai fait au diable, mais je sais que mon bateau va errer, sans but, sur cette mer infinie – et pour l’éternité !




(27 décembre 2001 – 14 mai 2002)

Mittwoch, 5. Dezember 2001

Afsaneh



(d’après Nima Yushidj)


Dans la nuit un fou a confié
Son cœur au gré d’une couleur nomade ;
Dans la vallée froide, isolé,
Comme la fleur d’une plante malade,

Il retrace une douloureuse histoire.
À cet endroit, il est resté,
Pris par ce conte enjôleur et fécond.
Il n’a rien dit, il est resté,
Avec d’un cœur perdu l’ultime don,

Histoire imaginée dans l’inquiétude.


L’amoureux :


« Mon pauvre cœur, mon cœur, mon cœur !
Méritant, mais éperdu, avec ta
Bonté, tes luttes, ton ardeur,
Qu’ai je finalement glané de toi,

Hors des larmes sur les joues du chagrin ?

Somme toute, ô cœur, que vis-tu ?
Que l’espoir de délivrance est coupé,
Que sur chaque branche on t’a vu,
Sur le moindre rameau tu t’es posé,

À t’en trouver affaibli et morose ?

Tu aurais pu te libérer,
O cœur, si tu n’avais gâché ton temps ;
Ce que tu vis est de ton fait :
Sans cesse un chemin, et un argument,

Jusqu’à ce qu’avec moi tu te querelles,

Jusqu’à ce qu’ivre et affranchi,
Tu t’attaches à l’amour d’Afsaneh,
Celle que tout le monde fuit –
Celle-là seule que tu as aimée ;

Elle n’a pas vu plus atteint que toi. »


Pour Afsaneh :

Quelqu’un d’atteint autant que lui,
Nul dans ce chemin glissant n’en connaît.
Ah ! Il y avait un récit :
De la branche, un oiseau s’est envolé ;

Il n’est resté qu’un nid de son passage.

Mais, dispersés entre les mains
Du vent, ces nids suivent leur voie errante ;
Des voyageurs sur le chemin,
Dans le chagrin, avec chagrin les chantent…

Lui, il était un de ces voyageurs.

Auprès de cet antre ruiné,
Les événements du ciel étoilé,
Des années durant vous laissaient,
Avec le cœur déchiré, déchiré.

Lui t’offrait des baisers, et toi, à lui… 


Pour l’amoureux :

Des années durant vous étiez
Accablés, des années durant, sans voix,
Mais une vague perturbée
Avait en elle une histoire de toi ;

Dans la vague, un sourire était gravé.


Afsaneh :

« J’ai vu sur cette triste lame
Un champion bondir désespérément »


L’amoureux :

« Mais j’avançais vers une femme
Aux cheveux mêlés étrangement :

Elle était comme un tourbillon troublé. »


Afsaneh :

« Moi, à ce stade du chemin,
Je traçais sur l’eau son image brève. »


L’amoureux :

« Ah ! J’ornais de baisers, de loin,
Son visage, dans un rêve – et quel rêve !

Avec quelles images magiciennes !

Afsaneh, écoute, Afsaneh !
Transforme-moi en cible de ta flèche !
Ma douleur tu la guérirais,
Autant que les larmes de la nuit fraîche !

Hébergée par ma flamme ? Où t’es-tu mise!

Qu’es tu ? Belle, ôtée aux regards,
Quand paradent les garçons dans ta sphère,
Tous gémissent pour te revoir,
Et tu gémis, toi, par crainte des pères!

Qui es-tu ? De qui pourrais-tu descendre ?

Quand ma mère avant me berçait,
Elle me chantait ta vie, et sa voix
Gravait ton visage, tes traits,
Dans mon cœur, qui s’endormait plein de toi ;

Je m’évanouissais, j’étais fasciné.

Quand je faisais mes premiers pas
À la poursuite des jeux enfantins,
À la nuit tombée, chaque fois,
Au bord de la source, au pied du chemin,

Intimement j’entendais ton appel.

C’était toi encore, Afsaneh,
Quand je courais dans le désert, hurlant
Comme un fou, seul, désespéré,
En insultant le monde,  et en pleurant,

Toi, Afsaneh, qui essuyais mes larmes ?

Et lorsque, dans l’ivresse, au vent
Je répandais mes mèches éclatantes,
Avec moi, discordieusement,
C’était toi qui soupirais, mécontente,

Et qui renversais à terre le ciel ?

Dans les champs, par une nuit sombre,
Je me revois, le teint jauni, souffrant
C’était bien toi, sortant de l’ombre,
- ce fantôme effroyable, étincelant -

Qui me faisait crier, de peur de toi ?


Pour Afsaneh :

Puis quand souriait le printemps,
Paré de verdure au bord des rivières,
Des rayons de lune éclatants
Jusqu’aux profondeurs des cimes altières,

Partout, tu annonçais fête et bataille.

Le rossignol se lamentait.
La nuit posait la rosée sur les lèvres
De la terre, et l’amour faisait
Éclore aux joues de la lune une fièvre ;

Tu écrivais toi aussi ta légende…


L'amoureux :

De moi, un conte, ô Afsaneh !
Es-tu en moi compassion comme alarme ?
Mon cœur piégé dans l’anxiété,
Ou les yeux versant des torrents de larmes ?

Ou le mal que l’on repousse partout ?

Tu peux lutter avec violence,
Mon cœur, même anonyme, ou méconnu ?
Ou bien es-tu ma propre essence,
Qui ne cherchait renom ni revenus ?

Ou, es-tu la fortune qui me fuit ?

Tu n’appartiens pas à cela :
Haine ou amour tu es impérissable.
Qui es-tu ? – Ne suis-je pour toi
Que l’occasion d’un chemin agréable ?

Es-tu juste une larme, ou le chagrin ?… »


Pour l’amoureux :

Amoureux, tu disais cela ?
De belle paroles si l’on écoute !
On pourrait, comme un feu de bois,
Incruster au ciel l’image du doute,

Ou rester silencieux comme la nuit.

On pourrait tels des lions en cage
Être obéissant, paisible, et se taire,
Mais l’amour cherche le voyage ;
Et la raison toujours voit le mystère

De cet homme, infiniment tiraillé.

C’est ainsi, et pas autrement :
Nous sommes associés dans cette affaire ;
Des dessins, on en ferait cent
Que le modèle ne changerait guère,

Et c’est toujours celui-là que l’on cherche.

Sur ce chemin, relève-toi :
Ceux qui partaient ont fui de nos mémoires.
Nous pouvons, nos cœurs pleins de joie,
Tracer une autre trame en cette histoire !

(ce qui fut beau ou laid, en nous demeure)



(1.12 – 5.12.2001)

Freitag, 6. Oktober 2000

Testament


 « Et je viendrai vers toi, infime goutte éperdue,
Rejoignant un océan aux horizons perdus. »
Gibran
 

Je suis mort sans enfants.
Je ne laisse rien à la terre que trois poèmes, quelques cendres.
La terre me laisse tout, son goût et son odeur,
Le parfum du nouveau matin et de l’ancien soir.

Je suis mort avec – ô bien si rare – si peu d’amis !
Pour me veiller deux corps – et combien d’âmes immortelles ? –
Pour perdre avec moi le goût de la défaite
Et de mon impatience à ne plus veiller.

Je suis mort avec mes racines inconnues,
Avec mes valeurs – laissez moi rire, mes valeurs ! –
Mystérieux, impénétrable à la lumière hurlante du jour,
Et toujours impénétrable jusqu’au bout des temps.

Je suis mort avec une belle tombe décorée.
Les photos de moi scintillent et les fleurs – une carapace de fleurs ;
On me souhaite un bon voyage, un bon séjour au pays des morts,
Au pays plus mort que la mort pour moi.

Je suis mort avec l’amertume de n’avoir parlé que de moi,
De n’avoir pas su rendre à l’homme les merveilles qu’il mérite
Parce qu’il était merveille – et qu’étais-je, moi ? –
Je m’étais abstrait du flot des hommes !

***

Je vivais dans le plus parfait oubli des autres.
Un au-delà toujours me relançait, mais point d’abri pour celui qui erre,
Comme un fou, au milieu des tombes de sa jeunesse,
Où es-tu, ma jeunesse perdue ?!

Je vivais déjà comme dans un rêve, comme dans la mort définitive peut-être,
Et je me murmurais ces mots sur le chemin : « Je viendrai vers toi,
Infime goutte éperdue rejoignant un océan aux horizons perdus. »
Plus je murmurais, plus je devenais l’océan perdu.

Je vivais – mais vivais-je ? – je marchais – où croyais-je aller ? –
Je naviguais de Thélemmes en Thélemmes, de paradis en paradis ;
L’enfer m’y attendait – la vie éternelle ? – ô cauchemar ;
Point d’enfer, point de paradis, juste la mort.

Je vivais me croyant seul et « ayant tout pour être heureux »
Oui mais non. On me donnait un ermitage,
Un ermitage ! pour celui qui cherchait l’amour,
Pour celui qui naissait à la vie et au monde !

Je vivais courageusement, menant ma barque avec faiblesse au milieu des récifs,
Quand la tempête faisait cent fois sombrer mon navire, je survivais.
Et dans le calme plat de la mer – mer morte ! – je me levais ;
Je mimais un spectacle de force au passant.

***

C’était le nouveau jour de la fierté, c’était
Déjà la gloire à portée de main, un avenir brillantissime –
Ah ah ah. Et j’ai encore l’audace d’en rire !
Vision grotesque, c’est que tu l’étais bien.

C’était le nouveau jour pourtant, et je lui tendais honteusement les bras ;
Dans un coin de remords je cachais ma conscience – brûlée la conscience finie, finie ! –
Et je révélais à l’horizon de mes fantasmes
Mon corps toujours inachevé.

C’était le nouveau jour de l’amour par exemple, et encore !
Un instant je me donnais à l’ivresse de ne plus être moi, de ne plus être peut-être ;
Le rideau s’ouvrait juste un instant – Regardez-moi ! Regardez-moi !
Je m’avance seul au cœur de la vie ! –

C’était le nouveau jour où je devenais autre, où je m’oubliais enfin !
Et si l’on m’a connu acteur sur les scènes de France
Acteur – le plus piteux des tragédiens plutôt ! – si je l’étais,
C’était par haine – mais envers qui ?

C’était chaque nouveau jour, chaque nouvelle personne que je croyais pouvoir aimer
Du fond du cœur, s’il n’est pas un double fond,
Un double fond, où expirerait mon amour déjoué,
Et que ni la vie n’a pu atteindre, ni la mort ne le pourra.

***

Il faudra bien pourtant qu’elle y court, cette vie, vers ce cœur vide,
Qu’elle y court et qu’elle s’y noie – au secours ! –
Et si elle crie nul ne s’arrêtera, nul ne l’aidera,
A qui importe la mare, au fond du jardin intérieur ?

Il faudra bien que je laisse le silence accompagner ma petite chute.
C’est le poète, l’homme et le vivant qui meurent ;
Pas la peine de se déplacer ; pas la peine de regarder, à travers le trou de cette porte,
Quelle mort l’attend en son enfer, quelle vie l’attend en son paradis.

Il faudra bien pourtant qu’il renaisse ce corps rougeâtre, rosâtre, blanchâtre,
Ce corps mou – sinon ce serait trop bête ! – Oui, ce serait dommage !
Mais je veux bien renaître, si l’on me dit qui m’attend,
Autre que les hommes de ma vie d’alors.

Il faudra bien que je les revois si eux aussi doivent revenir,
Mais le Christ saura leur donner le pain et le vin au lieu des épines ;
Du pain, du vin, que nul n’a besoin de donner pour recevoir ;
Des épines que j’ai données, et que j’ai tant cru recevoir !

Il faudra bien pourtant que le Christ me montre
Qu’en vain je ne l’ai pas embrassé, qu’en vain je n’ai pas versé de larmes
Sur la destinée de ceux qui sont morts, et prié pour leur âme…
Une âme, surtout la mienne, qu’importe au Christ !

***

Je ne suis pas mort dans la révolte ni dans le dégoût du monde.
L’espérance me berce sans doute, photo oubliée au fond d’un carton,
Prière au fond de l’égout, lumière au fond du cœur.
Et puis zut ! Je n’étais pas né pour le désespoir; je ne suis pas mort !

Je ne suis pas mort sans avoir prononcé le nom du Dieu qui s’est donné autrefois,
Et jamais je ne me suis donné – pour respecter son nom ! –
Eh bien soit, après tout, s’il est compté que la vertu n’effacera les vices
Peu importe ! L’un comme l’autre ne furent pas miens.

Je ne suis pas mort sans prononcer les mots de famille, amis, valeurs.
Pensons-y ! Et marrons-nous un bon coup ! Tout ce que je ne serai pas
Et que j’abandonne dans l’espoir,
Faible ruisseau au cœur des séismes, je comble mes gouffres aujourd’hui.

Je ne suis pas mort vainement si c’est au cœur du monde,
En pleine foule, au milieu de la vie – silence... – dans les entrailles de la jeunesse
Court le mal. Nul ne lui échappe, si ce n’est ce dernier regard
Posé fixement sur le ciel – Que caches-tu, cœur transparent ?

Je ne suis pas mort sans écrire deux trois poèmes, sans clamer que la vie est éternelle ;
Je vivrai toujours si mes enfants jouent de par le monde,
Et peuvent respirer l’air que j’ai un jour expiré,
Aux jours divins de ma jeunesse !