(d’après Nima Yushidj)
Son cœur au gré d’une couleur nomade ;
Dans la vallée froide, isolé,
Comme la fleur d’une plante malade,
Il retrace une douloureuse histoire.
À cet endroit, il est resté,
Pris par ce conte enjôleur et fécond.Il n’a rien dit, il est resté,
Avec d’un cœur perdu l’ultime don,
Histoire imaginée dans l’inquiétude.
L’amoureux :
« Mon pauvre cœur, mon cœur, mon cœur !
Méritant, mais éperdu, avec ta
Bonté, tes luttes, ton ardeur,
Qu’ai je finalement glané de toi,
Hors des larmes sur les joues du chagrin ?
Somme toute, ô cœur, que vis-tu ?
Que l’espoir de délivrance est coupé,
Que sur chaque branche on t’a vu,
Sur le moindre rameau tu t’es posé,
À t’en trouver affaibli et morose ?
Tu aurais pu te libérer,
O cœur, si tu n’avais gâché ton temps ;
Ce que tu vis est de ton fait :
Sans cesse un chemin, et un argument,
Jusqu’à ce qu’avec moi tu te querelles,
Jusqu’à ce qu’ivre et affranchi,
Tu t’attaches à l’amour d’Afsaneh,
Celle que tout le monde fuit –
Celle-là seule que tu as aimée ;
Elle n’a pas vu plus atteint que toi. »
Pour Afsaneh :
Quelqu’un d’atteint autant que lui,
Nul dans ce chemin glissant n’en connaît.
Ah ! Il y avait un récit :
De la branche, un oiseau s’est envolé ;
Il n’est resté qu’un nid de son passage.
Mais, dispersés entre les mains
Du vent, ces nids suivent leur voie errante ;
Des voyageurs sur le chemin,
Dans le chagrin, avec chagrin les chantent…
Lui, il était un de ces voyageurs.
Auprès de cet antre ruiné,
Les événements du ciel étoilé,
Des années durant vous laissaient,
Avec le cœur déchiré, déchiré.
Lui t’offrait des baisers, et toi, à lui…
Pour l’amoureux :
Des années durant vous étiez
Accablés, des années durant, sans voix,
Mais une vague perturbée
Avait en elle une histoire de toi ;
Dans la vague, un sourire était gravé.
Afsaneh :
« J’ai vu sur cette triste lame
Un champion bondir désespérément »
L’amoureux :
« Mais j’avançais vers une femme
Aux cheveux mêlés étrangement :
Elle était comme un tourbillon troublé. »
Afsaneh :
« Moi, à ce stade du chemin,
Je traçais sur l’eau son image brève. »
L’amoureux :
« Ah ! J’ornais de baisers, de loin,
Son visage, dans un rêve – et quel rêve !
Avec quelles images magiciennes !
Afsaneh, écoute, Afsaneh !
Transforme-moi en cible de ta flèche !
Ma douleur tu la guérirais,
Autant que les larmes de la nuit fraîche !
Hébergée par ma flamme ? Où t’es-tu mise!
Qu’es tu ? Belle, ôtée aux regards,
Quand paradent les garçons dans ta sphère,
Tous gémissent pour te revoir,
Et tu gémis, toi, par crainte des pères!
Qui es-tu ? De qui pourrais-tu descendre ?
Quand ma mère avant me berçait,
Elle me chantait ta vie, et sa voix
Gravait ton visage, tes traits,
Dans mon cœur, qui s’endormait plein de toi ;
Je m’évanouissais, j’étais fasciné.
Quand je faisais mes premiers pas
À la poursuite des jeux enfantins,
À la nuit tombée, chaque fois,
Au bord de la source, au pied du chemin,
Intimement j’entendais ton appel.
C’était toi encore, Afsaneh,
Quand je courais dans le désert, hurlant
Comme un fou, seul, désespéré,
En insultant le monde, et en pleurant,
Toi, Afsaneh, qui essuyais mes larmes ?
Et lorsque, dans l’ivresse, au vent
Je répandais mes mèches éclatantes,
Avec moi, discordieusement,
C’était toi qui soupirais, mécontente,
Et qui renversais à terre le ciel ?
Dans les champs, par une nuit sombre,
Je me revois, le teint jauni, souffrant
C’était bien toi, sortant de l’ombre,
- ce fantôme effroyable, étincelant -
Qui me faisait crier, de peur de toi ?
Pour Afsaneh :
Puis quand souriait le printemps,
Paré de verdure au bord des rivières,
Des rayons de lune éclatants
Jusqu’aux profondeurs des cimes altières,
Partout, tu annonçais fête et bataille.
Le rossignol se lamentait.
La nuit posait la rosée sur les lèvres
De la terre, et l’amour faisait
Éclore aux joues de la lune une fièvre ;
Tu écrivais toi aussi ta légende…
L'amoureux :
De moi, un conte, ô Afsaneh !
Es-tu en moi compassion comme alarme ?
Mon cœur piégé dans l’anxiété,
Ou les yeux versant des torrents de larmes ?
Ou le mal que l’on repousse partout ?
Tu peux lutter avec violence,
Mon cœur, même anonyme, ou méconnu ?
Ou bien es-tu ma propre essence,
Qui ne cherchait renom ni revenus ?
Ou, es-tu la fortune qui me fuit ?
Tu n’appartiens pas à cela :
Haine ou amour tu es impérissable.
Qui es-tu ? – Ne suis-je pour toi
Que l’occasion d’un chemin agréable ?
Es-tu juste une larme, ou le chagrin ?… »
Pour l’amoureux :
Amoureux, tu disais cela ?
De belle paroles si l’on écoute !
On pourrait, comme un feu de bois,
Incruster au ciel l’image du doute,
Ou rester silencieux comme la nuit.
On pourrait tels des lions en cage
Être obéissant, paisible, et se taire,
Mais l’amour cherche le voyage ;
Et la raison toujours voit le mystère
De cet homme, infiniment tiraillé.
C’est ainsi, et pas autrement :
Nous sommes associés dans cette affaire ;
Des dessins, on en ferait cent
Que le modèle ne changerait guère,
Et c’est toujours celui-là que l’on cherche.
Sur ce chemin, relève-toi :
Ceux qui partaient ont fui de nos mémoires.
Nous pouvons, nos cœurs pleins de joie,
Tracer une autre trame en cette histoire !
(ce qui fut beau ou laid, en nous demeure)
(1.12 – 5.12.2001)